Penser l’après-50 ans

Ubérisation et carrière

Du simple point de vue de la terminologie, il y a quelque chose d’un autre âge à vouloir passer sa vie dans une « boîte ».

Après une carrière menée tambour battant à la direction de la communication de grands groupes (BNP Paribas, Kering), Louise Beveridge a décidé – ce sont ses termes — de s’«ubériser». «J’étais arrivée à un moment où j’avais rempli la mission pour laquelle j’avais été recrutée, je savais qu’un jour ou l’autre l’entreprise aurait besoin d’un profil différent pour entamer une nouvelle étape de son développement, explique-t-elle. Je n’avais pas très envie d’attendre derrière mon bureau que cela arrive. Mes enfants étaient élevés, partis de la maison. J’avais fait le tour de mon métier, je ressentais le besoin de me renouveler et d’être utile en ayant un horizon plus large que celui de l’entreprise. Du simple point de vue de la terminologie, il y a quelque chose d’un autre âge à vouloir passer sa vie dans une « boîte ».» Elle décide donc de quitter son poste – un des plus enviés de Paris – pour… la page blanche.

«Pour créer quelque chose de neuf, il faut du vide autour de soi, avance-t-elle. Un espace pour que les idées surgissent. C’est difficile, angoissant, cela demande du courage, l’entourage vous explique que c’est la bêtise de votre vie. Mais, pour moi, c’était un chemin identitaire. La transition m’a pris trois ans.» Au fil des mois naît une structure à plusieurs branches, centrée sur le conseil en communication, son expertise. S’y sont raccrochés la transmission – Louise préside désormais la formation professionnelle en communication de Sciences Po ; la formation – elle en termine une à l’Institut européen d’administration des affaires (Insead), pour devenir administratrice de grands groupes ; enfin, l’engagement pro bono dans des causes qui lui tiennent à cœur, comme le sommet Women in Africa, lancé par Aude de Thuin.

Son bilan ? «Il est bien sûr contrasté, explique-t-elle. Je gagne moins bien ma vie qu’avant, même si je vis très correctement. Je ne suis plus au cœur de l’entreprise, les gens ne se déplacent plus pour me voir, j’ai un abonnement Vélib’ et je fais la queue dans les salles d’attente. Entre un oui et la signature d’un contrat, six mois peuvent s’écouler. Mais j’ai rajeuni de dix ans. J’ai construit un quotidien plus hybride, où je reçois et où je donne. Qui laisse plus de place à la vie, aux loisirs. J’ai appris à définir ce qui me fait plaisir et à lui donner de la valeur. J’ai le sentiment d’être dans un rapport agile aux choses, avec une rapidité d’action et de décision tellement plus en phase avec le modèle accéléré actuel. Et, surtout, mon travail n’est plus guidé par le besoin ou l’absence de besoin des autres. C’est ma grande fierté : j’ai appris à pêcher, et je n’attends plus qu’on me nourrisse.»

Oser entreprendre, à quel prix ?

Quelle carrière pour quelle femme ?

Seules 12 % des femmes vivent correctement de l’entrepreneuriat en France.

Entreprendre pour mieux faire face aux aléas de la vie ? Quand Marie Eloy, finaliste de notre concours Business With Attitude 2017, crée le réseau Femmes de Bretagne pour aider les femmes à entreprendre dans sa région, c’est parce que sa situation personnelle l’oblige à se lancer – son mari vient de la quitter, et elle doit élever sa fille. «Je n’ai pas pu me résoudre à prendre le premier job venu, explique-t-elle. Ce n’est pas un hasard si 30% des entreprises sont créées par des mères en solo. Elles n’ont plus de freins, plus de peurs, plus le choix.»

Femmes de Bretagne, c’est aujourd’hui cinq mille six cents membres, quarante rencontres organisées chaque mois, cinquante coordinatrices sur le territoire breton. «Il faut changer les codes économiques, avance Marie Eloy. Seules 12% des femmes vivent correctement de l’entrepreneuriat en France, et 80% restent au stade de l’économie informelle (c’est-à-dire à la tête d’une structure sans salariés… ni revenus dignes de ce nom). Seules 14% d’entre elles embauchent plus de dix personnes.» C’est pourquoi elle lance ce mois-ci Bouge ta boîte, une structure dédiée aux entrepreneures, pour les aider à accroître leur chiffre d’affaires. «C’est un réseau qui veut du résultat, résume-t-elle, montrer qu’il n’est pas interdit d’allier quête de sens et business. Oui, il faut demander des prêts bancaires – le Fonds de garantie à l’initiative des femmes (FGIF) garantit jusqu’à 70 % d’un prêt quand une femme crée son entreprise. Oui, il faut se faire accompagner par Réseau Entreprendre ou Bpifrance.»

Bouge ta boîte propose ainsi des formations à des tarifs abordables pour les TPE et les PME. «On a le droit de voir grand, de faire du chiffre d’affaires, comme les hommes, revendique Marie Eloy. Moi, je ne pouvais pas me permettre de passer un an sans me payer. Le salaire peut être inclus dans le business plan. L’argent circule comme une énergie : pour donner, il faut aussi recevoir.»